Maroc: Du désert au tourisme

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PLANÈTE – En 2004, le Maroc et son vaste désert comptaient 68.540 nomades. 10 ans après, il n’y en avait plus que 25.274, d’après le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Le réchauffement climatique n’a pas épargné les terres déjà arides du Sahara, poussant les nomades à choisir un nouveau mode de vie. Abde Errahman et sa famille sont de ceux-là. Reportage à Tagounite, où la pluie n’est tombée que 6 fois en un an.

« Cela fait plus de 10 ans que nous nous sommes sédentarisés. Personne ne le voulait vraiment mais avec le rechauffement climatique, nous avions des difficultés à rester dans le désert. Quand il n’y a pas de pluie, il n’y a pas d’herbe et s’il n’y a pas d’herbe, il n’y a pas de nourriture pour les animaux. Notre vie dans le désert est liée à celle des animaux. »

Abde Errahman dit “Abdu” a dû changer de vie à cause du réchauffement climatique./ Camille Bigo
Abde Errahman dit “Abdu” a dû changer de vie à cause du réchauffement climatique./ Camille Bigo

Sur la longue route qui mène vers la très touristique ville de Zagora, dans le sud du Maroc, le paysage change à chaque région franchie. Miroir de la diversité que peut offrir le pays. Passé le col de Tizi n’Tchika, où l’hiver rude a laissé quelques traces de neige sur les montagnes, le décor devient rapidement aride. Laissant courir, sur des kilomètres, un monde rural hors du temps.

Depuis la célèbre cité ocre, Marrakech, il faut compter 9 heures de bus pour rejoindre Zagora où l’autocar se vide de presque tous ses clients. Ici, la nuit noire est déjà tombée à 20 heures passées. Les étoiles, de plus en plus visibles à mesure que s’éloigne la pollution lumineuse, éclairent la voie pour porter vers le prochain arrêt, Tagounite.

La ville de plus de 16.000 habitants, est moins connue que Zagora, qui la précède et que M’hamid El Ghizlane, terminus, qui accueille le célèbre Festival International des Nomades. Mais c’est ici que Abde Errahman et sa famille se sont installés quand ils ont quitté leur ancienne vie. « Nous avons choisi Tagounite parce que mon petit-frère et ma petite-soeur sont allés à l’école ici », dit celui qui se fait appeler Abdu.

Passé le col de Tizi n’Tchika, le décor devient rapidement aride./ Camille Bigo
Passé le col de Tizi n’Tchika, le décor devient rapidement aride./ Camille Bigo

« Je suis né et j’ai grandi près des dunes. Si je le pouvais, je retournerais à ma vie dans le désert », raconte le jeune homme. Moitié berbère, moitié touareg, sa famille fait partie de la tribu Hassani, qui viendrait, à l’origine, de Tunisie.  « Ils ont continué leur chemin vers Errachidia, plus au nord, avant de venir dans cette région », précise Abdu, qui se rappelle son enfance dans le désert. « Notre vie était vraiment différente de celle qu’on a aujourd’hui. On manquait de beaucoup de choses. Par exemple, tous ces jeux éléctroniques que les autres enfants avaient. On n’allait pas à l’école, non plus, mais on était imaginatifs ».

Mohammed, son père âgé de 74 ans, rappelle qu’à son époque, la vie de nomade était encore plus dure. « Nous, on n’avait vraiment rien. Plus le temps passe et plus c’est simple ». Des ânes comme seul moyen de transport, 14 jours de voyage pour rejoindre un hôpital, peu de fruits et de légumes. « On faisait autrement, raconte l’ancien nomade. Pour se soigner, on utilisait la médecine naturelle. Pour conserver les fruits et légumes, on les laissait sécher dans le sable ».

Malgré tout ça, lui aussi voudrait revenir au coeur du Sahara.« Je préfère être là-bas. L’air y est bon. Il n’y a aucun stress. Je n’imaginais pas ce futur pour mes enfants quand je les ai eus. Je suis très touché de voir que notre mode de vie nomade disparaît ».

Mohammed, le père de la famille, âgé de 74 ans./ Camille Bigo
Mohammed, le père de la famille, âgé de 74 ans./ Camille Bigo

Quelle que soit la génération, les vies d’Abdu et de Mohammed étaient rythmées par les animaux. Moutons, chameaux, ânes. « Le matin tu te lèves, tu prends ton petit-déjeuner. Ensuite, tu suis les animaux jusqu’à la fin de l’après-midi. Des fois, ils vont très loin. Il arrive de les perdre aussi, mais tu dois suivre leur trace jusqu’à les retrouver », avec les étoiles comme guides.

Ne pas perdre leur trace est une question de survie. Les animaux sont le commerce du désert. Les nomades s’en occupent, les nourissent, prennent soin d’eux. Quand ils sont assez grands, ils les échangent au marché contre de la nourriture. « Beaucoup de gens savent que ces animaux vivent dans un bon environnement et comprennent qu’ils ont plus de valeur que les autres. Les personnes diabétiques, notamment, les préfèrent parce qu’ils ont été élevés dans un environement sain », précise Abdu.

Avec l’arrivée du réchauffement climatique dans le désert il y a 20 ans, leur train de vie a commencé à changer. Chez eux, on avait l’habitude de dire « on a 7 ans d’aridité et 7 ans de pluie ». Mais les 14 dernières années ont toutes été rudes. Tout était sec. Pas d’eau, pas d’herbe. « Alors, on a commencé à avoir moins d’animaux parce que s’ils ne mangent pas, ils ne sont pas bien. On était forcés d’en échanger certains contre de la nourriture pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres animaux. Si tu commences à faire ça toutes les semaines, tu n’as plus rien », confie Abdu.

Petit à petit, ils ont été forcés de penser à la sédentarisation. Et il n’y a pas qu’eux. Dans sa tribu, le jeune homme connaît de nombreuses personnes qui ont changé de vie. Avant, il savait où trouver les familles dans les dunes. Quand il prend son 4×4 pour rejoindre le désert aujourd’hui, c’est différent. « Des fois, je peux faire 100 km avant de trouver des nomades ».

Un pied dedans, un pied dehors

Au milieu d’oasis, palmiers et montagnes se dresse « Dar Talmoudi »./ Camille Bigo
Au milieu d’oasis, palmiers et montagnes se dresse « Dar Talmoudi »./ Camille Bigo

Par la force des choses, Abdu a décidé d’écrire une nouvelle histoire. Pour la comprendre, il faut prendre la voiture et s’éloigner de Tagounite. Sur la route, plus aucun lampadaire. La lune, qui finit d’être pleine, remonte vers le ciel au milieu des palmiers. A 15 minutes de là, Zaouiet Sidi Salah. C’est ici qu’il a commencé sa nouvelle vie. Au milieu d’oasis, palmiers et montagnes se dresse « Dar Talmoudi », (la maison Talmoudi).

A 9 heures 30 du matin, le soleil s’est levé depuis un moment sur cette maison traditionnelle berbère. L’air frais, qui n’atteint que 3 degrès, laisse à rappeler que l’hiver reste dur ici. Abdu émerge lentement de sa nuit. « Je prépare toujours le petit-déjeuner pour 10 heures. Aujourd’hui, c’est pour les quatre volontaires qui sont ici. Deux Anglaises, une Américaine et une Française ».

Pendant que le thé chauffe sur la gazinière, le jeune homme raconte l’histoire de ce lieu.  « A l’origine, cette maison appartient à ma grand-mère », dit-il. Une guérisseuse qui arpentait le désert pour soigner les nomades. « Un jour, elle a aidé un couple à avoir un enfant. Pour la remercier, ils lui ont donné cette terre. En même temps, ils voulaient qu’elle soit plus proche des gens d’ici parce qu’elle n’était pas facile à trouver dans le désert », souligne-t-il. Le lieu est alors devenu le point de passage de nombreuses familles nomades. Abdu aussi s’y arrêtait quand il élevait les animaux.

La cour qui fait office d’oasis avec sa végétation./ Camille Bigo
La cour qui fait office d’oasis avec sa végétation./ Camille Bigo

Puis la grand-mère d’Abdu est devenue trop vieille pour soigner les gens et a quitté la maison. Lui, il a choisi de garder un pied ici. A cette époque, il s’était déjà éloigné de sa vie de nomade. Il travaillait avec des agences touristiques qui offraient des excursions dans le désert. C’est comme cela qu’il a appris à parler d’autres langues que le tamazigh (berbère) et le darija (dialecte marocain).

Au fil de rencontres avec les touristes, Abdu découvre ces nouvelles technologies qu’il n’a pas ou peu utilisées dans sa vie. On lui parle du « couchsurfing » avec des touristes hébergés gratuitement pour un riche échange culturel.« J’ai rencontré une femme d’une cinquantaine d’années qui venait d’Angleterre. Je l’ai accueillie chez moi, ma famille était partie voir mon frère à Marrakech. Elle m’a aidé à créer une bonne page sur le site de ‘couchsurfing’, parce que je n’avais encore jamais écrit en anglais. Puis un ami à moi, qui vit en Europe, est venu boire un thé ici, et il m’a dit ‘tu devrais faire quelque chose de ce lieu’ ».

Entre temps, le « Wwoofing » ou « workaway » est devenu un véritable phénomène de mode. Des voyageurs du monde entier vont travailler bénévolement chez qui veut en échange du gîte et du couvert. Séduit par l’idée, Abdu s’inscrit sur un site et se lance dans l’aventure il y a 5 ans. « Au debut, il n’y avait que deux tentes berbères et nous construisions chouya chouya chouya (petit à petit, ndlr)», se rappelle-t-il. Aujourd’hui, sa « Dar Talmoudi » est bien sortie de terre.

Le toit de l’immense salon repose sur des troncs de palmiers./ Camille Bigo
Le toit de l’immense salon repose sur des troncs de palmiers./ Camille Bigo

Passé son immense porte, seul le chant des oiseaux vient trahir le silence qui règne ici. Sur la gauche, en entrant, un immense salon fermé, le toît reposant sur les troncs de palmiers. Autour de la cour qui fait office d’oasis avec sa végétation, 7 chambres, une tente traditionelle nomade, la cuisine, une salle de bain. Toutes les pièces ont l’eau courante. Elles sont reliées au puit que le père d’Abu a construit il y a plusieurs années. « Mon père est un spécialiste dans la construction de puits. Quand tu ouvres ton robinet et que l’eau coule, tu n’as pas besoin d’efforts mais quand tu manques d’eau comme nous, tu es obligé d’apprendre », souligne le jeune homme.

L’esprit de la kasbah traditionnelle est bien-là. Tant dans sa décoration avec les tapis berbères jonchant sol et murs que dans les matériaux utilisés à la construction. De l’eau, du sable, de la terre, de la paille et du ciment. « Ce sont des éléments naturels et ce n’est pas cher », rappelle Abdu, qui tenait à recréer une maison traditionelle pour le confort des visiteurs.

Mohammed a construit un puit qui offre l’eau courante au goût salé dans toute la propriété./ Camille Bigo
Mohammed a construit un puit qui offre l’eau courante au goût salé dans toute la propriété./ Camille Bigo

L’école de la vie

A midi, juste avant le repas, Abdu dévoile la deuxième partie du terrain. Ici, il reste presque tout à faire. « Avec les 4 volontaires, nous avons fabriqué les briques qui serviront à faire les murs, cette semaine. Aujourd’hui, je dois terminer de fixer le portail au mur », explique le jeune homme.

En deux heures, la température est montée à 15 degrès. Abdu a délaissé sa jellabah pour les travaux mais il reste coiffé de son chèche, voile traditionnel des nomades et chaussé de ses claquettes. Il va et vient, mélangeant pierres, eau et ciment pour fixer son portail. Un sceau rempli, une échelle bancale. En moins de 20 minutes, le tour est joué. « J’ai appris à faire tout ça tout seul et je l’apprends aujourd’hui aux volontaires. C’est pour cela que la rénovation prend du temps. Il faut toujours expliquer. Mais si je n’avais pas l’aide des volontaires, je serais tout seul ».

En claquettes, Abdu s’attelle aux travaux de rénovation./ Camille Bigo
En claquettes, Abdu s’attelle aux travaux de rénovation./ Camille Bigo

Pendant ce temps, les volontaires, elles, profitent de leur dernier jour, loin de tout. Rebecca, Anglaise de 20 ans, raconte son séjour ici. « On est étudiantes, on est en vacances et on voulait faire du ‘workaway’. On s’est dit que ce serait une bonne expérience. Je n’étais jamais venue au Maroc et je voulais voir le désert donc on a choisi de venir ici, explique-t-elle.

On a aidé Abdu à restaurer la propriété en échange du séjour. Pendant nos premiers jours, on a fabriqué beaucoup de briques. On a dû aussi aller chercher du sable, battre le sol et mélanger tout ça avec de l’eau pour couvrir les murs. Ce sont des petis jobs qui nous ont pris beaucoup de temps parce qu’on n’avait pas les bons outils. On utilisait beaucoup nos mains ».

Eau, ciment, terre. Les matériaux sont presque tous naturels./ Camille Bigo
Eau, ciment, terre. Les matériaux sont presque tous naturels./ Camille Bigo

Fourches, pelles, brouette et sceau sont en effet les seuls outils à disposition des volontaires. Le travail est dur, Abdu le sait. Mais, pour les récompenser, il les a amenées au cœur du désert, sur les traces de son ancienne vie. Harley, Américaine de 23 ans, s’en rappellera. « Je me souviendrai surtout du nombre d’étoiles que j’ai vues dans le ciel. Quand je vais faire du camping, chez moi, il y a beaucoup de pollution lumineuse, on ne voit rien. J’ai découvert les étoiles autrement ».

Harley a été marquée, aussi, par les rencontres qu’elle a faites ici. Tant avec les locaux que les autres. « Pendant trois-quatre jours, au début, il y avait 10 volontaires venus de partout dans le monde. C’était incroyable à vivre parce que j’adore rencontrer des étrangers. C’était une très bonne expérience culturelle. Et je pense que c’est une partie très intéressante du projet d’Abdu », souligne-t-elle.

Le jeune homme lui, continue ses travaux après avoir mis les lentilles sur le feu. En attendant que les briques fabriquées les jours précédents sèchent correctement, il continue de protéger les murs de cette partie du terrain. Un mélange de roches, de sable et d’eau qu’il laisse prendre avant de le lancer contre les murs, avec ses mains. Plus rustique encore que le reste des travaux. « Attention, ça va éclabousser », prévient-il.

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Ici, il veut ajouter trois ou quatre chambres pour dédier l’espace entier aux touristes qu’il commence déjà à accueillir en plus des volontaires. « J’espère terminer rapidement afin que les touristes puissent rester au calme. ».

Une fois ce côté terminé, Abdu s’attaquera à la dernière partie du terrain qui, pour le moment, accueille ses quelques lapins et canards. Et il voit les choses en grand. « Je veux faire un hammam, un salon de massage, d’autres chambres. Mais le projet qui me tient vraiment à coeur est de créer une coopérative de tapis berbères pour aider les femmes des alentours », racconte le jeune homme.

Combien de temps ça lui prendra ? Il ne sait pas encore, question d’argent. « Il faut payer l’électricité, le gaz pour l’eau chaude, le ciment. Les volontaires ne payent que 50 dirhams par jour (5 euros environ, ndlr), et ce n’est pas assez ». Côté touristes, 20 euros suffisent pour une nuit tout inclus.

En attendant, Abdu continuera d’accueillir ces voyageurs en quête d’aventure. Mais il tient à le faire autrement. « Il y a beaucoup d’organismes qui proposent des excursions d’une nuit ou deux dans le désert. Moi, je veux prendre le temps. Partager mon savoir, leur raconter le mode de vie et l’histoire des nomades ». Tout en gardant espoir sur l’avenir. « Peut-être que, d’ici quelques années, la jeune génération trouvera des solutions pour aider les nomades à continuer leur route. Par exemple en leur amenant des citernes, en trouvant d’autres moyens d’acheminer de la nourriture. Les écoles pourraient aussi proposer aux élèves un exercice pour suivre les nomades pendant plusieurs semaines ». Pour que vive l’histoire d’Abdu et l’Histoire quelle qu’en soit l’issue.